Le deuil au Japon

Au Japon, on assiste depuis la fin des années 1970 à une révolution tranquille dans les attitudes et les pratiques concernant la mort et l’inhumation. Ces changements frappants impactent non seulement la façon dont les Nippons perçoivent aujourd’hui la mort, mais aussi comment ils voient la vie, le deuil et la mortalité. Alors que les Japonais renoncent (très) progressivement à leurs traditions ancestrales pour ce qui est des rituels funéraires, les acteurs de ce marché juteux promeuvent les traditions funéraires bouddhistes de l’ère Edo par un souci évident de rentabilité pour ne pas voir leurs volumes d’affaires faramineux fondre comme neige au soleil.

Les rites funéraires : des coutumes millénaires à l’influence du bouddhisme

A chaque culture ses rites funéraires. Certains remontent à plusieurs millénaires, comme au Japon. C’est à l’époque de l’Empereur Edo (1603-1867) que les coutumes funéraires du peuple japonais prirent leur forme plus ou moins contemporaine. Avant cette époque, la disposition des cadavres était en grande partie laissée à l’entière discrétion de la famille endeuillée. Dans certaines régions du Japon, en particulier vers l’ouest, les dépouilles des défunts étaient enterrées dans des tombes peu profondes servant de fosses communes, ou simplement jetées dans la rivière ou à la mer, en fonction des particularités géographiques de chaque région. Il existe même un mot pour ces « tombes » de petite profondeur, les « Sutebaka ». Ce terme est en réalité un mot-valise composé de « Suteru », qui signifie « abandonner » ou « jeter », et « Haka », qui signifie « tombe ».

Les rites funéraires japonais ont largement été popularisés par la culture, que ce soit via des contes folkloriques célèbres comme le roman « Obasuteyama », ou des films cultes comme ceux de Keisuke Kinoshita (« Narayama Bushiko », sorti en 1958) et Shohei Imamura (« La Ballade du Narayama », sorti en 1983).

Dans certaines régions du Japon, les familles endeuillées enterraient leurs morts sans incinération. Dans d’autres régions, la crémation faisait office de passage obligé pour les défunts. Ce n’est qu’à l’époque de l’Empereur Edo que le bouddhisme s’est imposé comme religion dominante dans les classes populaires. La tombe familiale, le recueillement et les obsèques devinrent alors monnaie courante. Les familles bouddhistes maintiennent d’ailleurs cette tradition aujourd’hui encore, à laquelle elles ont greffé une pratique occidentale : la carte de remerciement de décès après des condoléances.

Le business juteux des rites funéraires de tradition bouddhiste

Le « Mairibaka », un lieu de sépulture prévu pour les visites de recueillement, a gagné sa place dans l’enceinte des temples bouddhistes du Japon à l’ère Edo. Les temples véhiculaient la croyance selon laquelle les âmes des ancêtres devaient être adorées à des intervalles fixes : 49 jours, 100 jours, trois ans, sept ans, etc. Bien entendu, les temples étaient rémunérés par les familles pour l’entretien des tombes. Les religieux demandaient des honoraires parfois exorbitants pour réaliser les différents rites funéraires et de recueillement comme la lecture des sutras pour les âmes des morts. Le prix moyen d’un prêtre bouddhiste pour présider des funérailles caracole d’ailleurs aujourd’hui à environ 400 000 yens, soit plus de 3 300 €.

Ce business juteux a d’ailleurs été pris d’assaut par de nombreux entrepreneurs qui se sont lancés dans des projets de pompes funèbres au Japon. Ces entreprises organisent (et promeuvent) les rites funéraires de tradition bouddhiste pour des raisons évidentes de rentabilité. Il y a aujourd’hui quelque 45 000 salons funéraires au Japon, et le coût moyen des funérailles dépasse les 3 millions de yens, soit plus de 24 000 € ! L’agent est un tabou au Japon, et une bonne partie des familles n’est informée du prix qu’une fois la personne défunte enterrée et les rites funéraires arrivés à leur terme.

Selon les statistiques publiées par le gouvernement japonais, le pays compte aujourd’hui environ un million de décès par an. D’ici 2035, la mortalité devrait monter à 1,7 million de personnes par an du fait du vieillissement de la population.

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